Symposium 2012
Conférence inaugurale
Samedi 24 novembre 2012, l’Institut d’études avancées de l’université de Strasbourg (USIAS) a été officiellement lancé. Durant la conférence inaugurale, d'éminents conférenciers du Conseil scientifique externe de l’USIAS se sont exprimés sur l'importance de soutenir des recherches vraiment originales et d'offrir un espace de réflexion et d'expérimentation intellectuelle au sein du système de recherche actuel, où les idées et les programmes non conventionnels peinent à trouver leur place.
Dans son introduction, le président de l'université Alain Beretz a rappelé que l’USIAS ne doit pas être considéré comme une tour d'ivoire, mais comme un atout pour l'université tout entière. En effet, l’Institut est ouvert à toute personne proposant une idée vraiment originale et de haute qualité. Les Fellows de l’USIAS feront partie intégrante de l'université, et collaboreront avec différents groupes et laboratoires de toutes les disciplines, enrichissant ainsi directement l'université par leur présence. Il a également signalé que le mot « usias » était le pluriel du mot latin « usia », qui signifie « la substance, l'essence ». En effet, l'USIAS a pour objectif d'aider la recherche à se rapprocher de l'essence des choses, en récompensant les perspectives novatrices et en encourageant les recherches véritablement exploratoires
Le professeur Ernst-Ludwig Winnacker, Secrétaire général du Human Frontier Science Program (HFSP), a présenté les enjeux de la création d'un environnement au sein duquel les chercheurs peuvent vraiment travailler sur les « frontières du savoir », et a souligné l'importance d'une base internationale pour le nouvel Institut d’études avancées de Strasbourg. La science est internationale, mais ses institutions sont nationales, voire régionales, et de nombreux pays européens sont encore plutôt repliés sur eux-mêmes dans leurs orientations.
Même si la recherche est excellente, elle n'est pas nécessairement innovante. Les idées de recherche novatrices naissent souvent dans un environnement propice, où des individus créatifs d'origines diverses se rencontrent régulièrement et peuvent échanger librement. Parce qu'ils permettent de réunir des personnes partageant une même vision, ces lieux deviennent des « aimants à créativité ».
L'expérience du Conseil européen de la recherche (ERC) et du HFSP montre que, malgré une complexité certaine, il est possible d'identifier et de financer une recherche qui se trouve véritablement à la frontière des connaissances humaines. S’il est difficile de reconnaître les idées originales, l'étape préliminaire - la création d'un lieu où les idées nouvelles naissent plutôt que d'être simplement reconnues - est encore plus ambitieuse. Les bonnes idées sont, en fait, extrêmement rares. Einstein lui-même disait : « Je n'en ai jamais eu qu'une seule ».
Consulter le texte intégral de l'intervention du professeur Winnacker.
Le professeur Roger Guesnerie, du Collège de France, a esquissé le problème de l'intellectual lock-in, qui peut être engendré par le développement rapide de la recherche, en particulier dans le domaine des sciences sociales et de l'économie. Les frontières se sont multipliées au sein de la recherche économique moderne, mais, en parallèle, les avancées sur chaque front sont de moins en moins bien comprises par les chercheurs extérieurs au domaine, même s'ils travaillent dans des sous-domaines voisins.
Cette « balkanisation » de la connaissance se retrouve également dans les sciences naturelles, mais peut s'avérer plus problématique dans le contexte de l'économie (ou des sciences sociales), puisque l'action sociale met en jeu tous les niveaux de compréhension. Par exemple, en cette période de crise économique, lorsque les questions portent sur la stabilité systémique, non seulement du système financier, mais également de l'économie dans son ensemble, la synthèse des différents points de vue est primordiale. Un Institut d’études avancées peut jouer un rôle crucial, en offrant la possibilité de prendre de la distance et en proposant une synthèse pertinente, en particulier dans des disciplines comme l'économie.
Consulter les diapositives du Professeur Guesnerie.
Le professeur Thomas Krummel, de l'université Stanford, a remarqué que, souvent, nous n’avons pas besoin de tenter de découvrir de nouvelles choses, mais de regarder les choses connues avec un regard nouveau. Fréquemment, les bonnes idées viennent de sources et de situations inattendues et non conventionnelles, c'est pourquoi il est essentiel de garder l'esprit ouvert. Comme l'a dit Louis Pasteur : « La chance ne sourit qu'aux esprits bien préparés ». Il a également souligné l'importance de ne pas trouver ce que l'on attendait, ce qui peut s'avérer le début d'une nouvelle approche fascinante d’un phénomène. C'est cet état d'esprit de prise de risques intellectuels que l’USIAS doit s’efforcer d’identifier, d'encourager et de stimuler chez les chercheurs.
Les bonnes idées n'émergent pas nécessairement de situations de recherche classiques. L’interaction avec des chercheurs d'autres disciplines et des personnes extérieures à la recherche est essentielle à l'inspiration. Et, comme Louis Pasteur et bien d'autres l’ont démontré, l’orientation vers l'application n’est pas contradictoire avec l'approche de l '« essence » des choses. Au contraire, la volonté de remédier aux problèmes de la vie réelle est un élan extrêmement créatif qui mène souvent à de nouvelles connaissances fondamentales.
Consulter les diapositives du Professeur Krummel.
Le professeur Louis de Saussure, de l'université de Neuchâtel, a montré qu’au niveau très élémentaire de la communication, de nombreux facteurs intrinsèques à l'usage du langage compliquent la compréhension et constituent un obstacle à l'accès véritable aux pensées, aux idées et aux connaissances d'autrui. Cela représente un défi, particulièrement pour la recherche interdisciplinaire, puisque les différentes disciplines tendent à utiliser leur propre « langage».
Or le langage est un domaine d'études pour lequel la collaboration de différentes disciplines est cruciale. La linguistique est un exemple classique de l'interdisciplinarité dans les sciences humaines, et est également un élément essentiel du fondement du structuralisme et des sciences cognitives. Le grand défi interdisciplinaire actuel est l'ouverture des portes entre les sciences naturelles et les sciences humaines, et l'établissement de rapports significatifs entre les différents corps de connaissances de ces domaines, dans les deux sens.
Pour cela, une attitude spécifique est nécessaire chez les chercheurs, qui doivent non seulement effectuer leurs recherches, mais être également capables de réfléchir sur leurs travaux au méta-niveau, en comprenant les dimensions philosophiques et épistémologiques des connaissances qu'ils génèrent. Cette capacité est une condition essentielle de recherches véritablement interdisciplinaires, et un Institut d'études avancées devrait jouer un rôle important dans la création et l'encouragement de cette capacité.
Le professeur à l’USIAS Jean-Marie Lehn a conclu la conférence par quelques remarques incitant à la réflexion, insistant sur le fait que l'USIAS fera partie intégrante de l'université de Strasbourg, car c'est l'interaction qui permet l'émergence et l'essor des idées nouvelles.
Le professeur Thomas Ebbesen, directeur de l’USIAS, a ensuite annoncé les 16 premiers Fellows de l'USIAS.