Leçon inaugurale Chaire Marc Bloch - Des sables de Bahariya aux ors de la cour de Thèbes : un parcours d’égyptologie interdisciplinaire
Par Frédéric Colin, titulaire de la Chaire Marc Bloch USIAS 2022-2024
Avec une introduction par David Le Breton, Chaire d’Anthropologie des mondes contemporains USIAS
Un égyptologue est traditionnellement conçu comme un spécialiste de l’histoire ancienne d’une aire chrono-culturelle définie par des critères linguistiques et culturels : la vallée du Nil et les régions limitrophes où vécurent des populations dont l’écriture et la langue sont documentées pendant plus de 3 000 ans, depuis le IIIe millénaire avant notre ère jusqu’au Ier millénaire de notre ère.
En théorie, l’égyptologie est une discipline synthétique, qui fait intervenir l’archéologie (étudier les objets et les structures découverts sur des chantiers de fouille), la philologie (éditer des textes anciens), l’histoire (combiner les sources archéologiques et textuelles pour répondre à des questions historiques) et les autres sciences humaines outillées pour éclairer le fonctionnement des sociétés. Dans la réalité, les chercheurs et les institutions tendent à se spécialiser dans l'un de ces sous-domaines. D’un point de vue épistémologique, cette spécialisation est un phénomène spontané, sans doute nécessaire pour faire progresser des connaissances de plus en plus pointues. Elle engendre cependant aussi des frontières disciplinaires internes et externes rassurantes, qui doivent plus aux traditions contingentes de l’enseignement qu’aux besoins objectifs du progrès des connaissances.
La leçon illustrera par plusieurs exemples l’intérêt d’un vagabondage scientifique quelquefois indifférent aux frontières artificielles, à condition d’oser porter sur un problème bien connu un regard temporairement naïf, parfois susceptible d’engendrer une créativité inattendue.
L’accent sera aussi mis sur l’utilité de développer de première main des techniques et des savoir-faire expérimentaux auxquels, dans les domaines de tradition littéraire, nous n’accordons pas toujours la plus grande attention en raison d’un tropisme pour la théorie et le savoir éthéré.
Dans cette perspective, l’expérimentation des applications archéologiques de la photogrammétrie numérique dans la collection égyptienne de l'université de Strasbourg et sur le chantier de fouille de l’Assasif s’est révélée fondamentale pour tirer parti du hasard d’une découverte importante accomplie en 2018, 2019 et 2021. La méthode photogrammétrique employée systématiquement pour documenter la fouille, aussi bien pour la stratigraphie que pour les artefacts, a permis d’établir d’une façon réfutable l’interprétation contextuelle de la découverte.
Sans cet outil souple, précis et rapide, le contexte très déstructuré dont proviennent les cinq sarcophages âgés de 3 500 ans aurait rendu l’enregistrement des données en temps réel et leur interprétation post-fouille extrêmement délicats. Cette méthode a également permis de figer rigoureusement une scène de crime attestant dans l’Antiquité pharaonique des actes de vandalisme contre des monuments funéraires, dont les exemples modernes et récents, dans le contexte du marché des antiquités, sont beaucoup mieux connus.
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- Pour en savoir plus sur Frédéric Colin et son parcours, lisez cette interview récente : Portrait de Frédéric Colin | Explorateur des humanités
Cette conférence est la leçon inaugurale de la Chaire Marc Bloch de l'USIAS. Elle s'adresse à un large public, qui sera invité à s'informer sur le sujet auprès d'un chercheur pionnier travaillant aux frontières de la recherche. La conférence se déroulera en français.
La conférence constitue la deuxième partie de l'ensemble de l'événement inaugural, elle fait suite à la leçon inaugurale de la Chaire Paul Ehrlich Le cerveau sous opiacés par la neurobiologiste Brigitte Kieffer - voir le programme complet de l'après-midi.
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La Chaire Marc Bloch de sciences humaines et sociales a été créée en 2022. Elle constitue l’une des trois chaires temporaires d’une durée de deux ans, spécifiquement créées à l’attention de chercheurs strasbourgeois ayant apporté une contribution exceptionnelle dans leur domaine. Cette chaire a été nommée en l’honneur de Marc Bloch (1886-1944), un historien français qui a été professeur d’histoire médiévale à l’université de Strasbourg de 1921 à 1936. Co-fondateur de la revue historique « Annales », il était connu pour ses travaux sur l’histoire comparative et économique, ainsi que son intérêt pour l’interdisciplinarité.