Séminaire Fellows - Architectures étranges : la complexité dynamique et structurelle comme ressource de la fonction cérébrale
Par Demian Battaglia, Fellow 2020
Nous aimons à croire que les systèmes mettant en œuvre une fonction doivent posséder une architecture spécifiquement conçue pour exécuter la fonction en question. Un peu comme un corollaire à cette première conviction, nous sommes également convaincus que la fonction mise en œuvre par un système pourrait être déduite par l'observation de son architecture. Cela est vrai lorsqu'il s'agit d'architectures créées par l'homme (cf. l'affirmation que « la forme suit la fonction » de Louis Sullivan), et aussi pour les façons courantes de conceptualiser le fonctionnement des systèmes biologiques et, en particulier, des systèmes neuronaux. Cependant, la vie et le traitement de l'information neuronale sont le résultat d'interactions complexes entre un grand nombre de parties, dont le comportement résultant est finalement dû à une coordination collective et pourrait radicalement différer du comportement individuel de l'une des parties considérée isolément. Une telle auto-organisation collective tend à donner naissance à des modèles et à des chaînes de causalité complexes et désordonnés, dans lesquels on ne peut guère identifier de signe de conception rationnelle de type ingénierie.
Dans cet exposé, je présenterai quelques exemples d’« architectures neuronales » à différentes échelles : les cartes de connectivité du cervelet et l'organisation oscillatoire de l'hippocampe et du cortex, censées être adaptées à des fonctions précises, telles que respectivement la coordination motrice ou le routage flexible de l'information entre différentes régions du cerveau. En faisant la moyenne de nombreuses cartes de connectivité différentes ou d'un grand nombre d'événements oscillatoires, certains traits caractéristiques semblent émerger et des théories ont été proposées pour relier chacun de ces traits spécifiques à différentes fonctions putatives. Toutefois, lorsqu'on les considère un à un, ces cartes et ces événements oscillatoires sont extrêmement divers et irréguliers, présentant fréquemment des propriétés très éloignées des propriétés idéales résumées par les moyennes. La diversité est telle que l'on pourrait être tenté de dire que les moyennes... n'existent pas vraiment dans la réalité des circuits individuels ou dans l'ici et maintenant de la dynamique neuronale réelle liée au comportement en cours.
Que pourrait donc signifier cette extrême diversité ? Que les architectures sont une idéalisation et que les circuits et la dynamique du cerveau sont désordonnés et largement aléatoires ? Ou au contraire que les architectures associées à la fonction existent toujours, mais que nous devons les accepter comme étant « étranges », contrairement à ce que notre rationalité cartésienne voudrait qu'elles soient ? Et, si tel est le cas, quel langage pourrions-nous utiliser pour décrire « l’étrangeté », pour comprendre son origine et, peut-être, ses avantages computationnels ?
En collaboration avec Romain Goutagny, Vincent Douchamps, Samy Castro (LNCA, université de Strasbourg) et Philippe Isope (INCI, université de Strasbourg)
- En lire plus sur Demian Battaglia et son projet USIAS : Maîtriser la complexité de l’organisation oscillatoire au sein de l’hippocampe (et de ses réseaux à plus grande échelle)