Université de Strasbourg

Le virologue João Marques s’exprime au sujet de l’épidémie de COVID-19

30 avril 2020

Notre monde vit une époque sans précédent, qui affecte également les chercheurs. En effet, des laboratoires ont dû fermer, leurs expériences ont été interrompues ou reportées, les prélèvements et analyses de tissus dans le cadre d’études cliniques ont été stoppés, et les échantillons congelés sans garantie de pouvoir être utilisés à nouveau. Certains laboratoires sont encore actifs, ayant réorienté leurs recherches vers ce nouveau coronavirus. Toutefois, la plupart d’entre eux sont vides, ne permettant souvent qu’à une seule personne de s’y rendre chaque jour afin d’assurer des tâches essentielles comme le maintien en vie des lignées cellulaires ou des animaux. La majorité des chercheurs travaillent de chez eux, dans la mesure du possible, lisant des publications scientifiques et analysant des données.

À l’inverse, d’autres laboratoires ont trouvé un nouveau rôle à jouer dans le contexte de la crise du Covid-19 et sont très occupés, même s'il ne s’agit pas exclusivement de recherche. Par exemple, le laboratoire du Fellow USIAS João Marques à l’université fédérale du Minas Gerais (Brésil) travaille habituellement sur l’immunité antivirale chez les insectes, principalement les moustiques vecteurs qui transmettent des virus humains comme la dengue et Zika. Aujourd’hui, il aide l’État du Minas Gerais à diagnostiquer le Covid-19. João Marques, qui passe une grande partie de son temps à l’Institut de biologie moléculaire et cellulaire (IBMC) de Strasbourg dans le cadre de sa fellowship, partage avec nous quelques-unes de ses expériences et observations au sujet de la crise actuelle et de son impact sur la recherche en virologie.

 

Des laboratoires de recherche transformés en laboratoires d’analyses

« L’agence locale de l’État du Brésil d’où je suis originaire était dépassée et ne pouvait pas traiter les prélèvements des patients assez rapidement. Lorsque j’ai réalisé que les dépistages étaient limités par un manque de main d’œuvre et d’infrastructures au niveau de l’État, j’ai contacté des connaissances travaillant au Secrétariat d’État à la santé. D’autres laboratoires de l’université ayant fait de même, nous avons pu organiser une collaboration officielle entre laboratoires, directement coordonnée par le bureau du Doyen de la recherche. »

Joao Marques« Mon laboratoire est maintenant l’un des huit de la région impliqués dans le traitement des prélèvements de patients et la détection de l’ARN viral. Une fois que l’université a été impliquée, un accord a été signé entre l’État et les laboratoires concernés. Tout d’abord, chacun d’entre eux a été certifié par le Secrétaire d’État à la santé afin de pouvoir mener les tests de dépistage. Plusieurs laboratoires de recherche font de même dans d’autres États, en se fondant principalement sur l’expérience acquise lors des récentes épidémies de Zika et de fièvre jaune qu’a connues le Brésil. Il n’y a pas de coordination entre les États, mais nous échangeons des informations au niveau des laboratoires. »

« L’État et l’université achètent les réactifs nécessaires auprès des entreprises dont les tests ont été certifiés par le ministère de la Santé, principalement en suivant le protocole des CDC (Centres de contrôle et de prévention des maladies) des États-Unis. L'université a également accepté de couvrir les coûts d’utilisation et de maintenance des équipements pendant cette période, grâce à un budget d’urgence. Chaque laboratoire a accepté d’apporter sa force de travail sans demander de compensation financière. »

Les réponses politiques à la crise

« Il est bouleversant de constater les tragédies que la pandémie de coronavirus entraîne, comme ce nombre impressionnant d’affections sévères et de décès ainsi que ces ravages économiques et sociétaux. Je suis convaincu que la réponse des gouvernements devrait être fondée exclusivement sur l’approche scientifique, ce qui signifie que les décideurs politiques comme les citoyens devraient faire confiance aux experts et accepter des recommandations basées sur des connaissances qu’ils ne comprennent peut-être pas entièrement. Malheureusement, ce n’est pas le cas dans tous les pays. »

« Au Brésil, nous manquons totalement de leadership au niveau national à l’heure actuelle, et il revient donc aux gouvernements locaux de prendre les décisions difficiles. L’absence de décision centralisée pose de nombreux problèmes, puisqu’elle crée une concurrence dans l’accès aux ressources et donne l’impression que chaque ville doit se débrouiller seule. Certains États ont été plus directifs dans leurs recommandations, mais le gouvernement fédéral a été totalement absent et, dans de nombreux cas, a même entravé l’action des États. Il me semble que les décisions centralisées, comme celles prises en France, assorties de directives claires données par le gouvernement et le Président lors de ses interventions télévisées, renforcent le sentiment d’unité. C’est essentiel dans une crise comme celle que nous connaissons. À l’inverse, la création de divisions au sein d’un pays, comme l’a fait le Président du Brésil, est la pire stratégie que je puisse imaginer. »

Les effets de la pandémie sur les recherches à venir

« J’espère que la crise actuelle renforcera la conviction que le financement de la recherche est crucial, non seulement au niveau international mais également local, puisque chaque pays présente des variables uniques qui doivent être comprises et traitées localement. »

« Une épidémie comme celle du Covid-19 tend à concentrer toute l’attention, et c’est bien normal : nous devons la juguler. Malheureusement, nous risquons ainsi de dédier à long terme la majorité ou l’ensemble des fonds à la recherche dans ce seul domaine, ce qui pourrait avoir divers effets indésirables, comme détourner les fonds d’autres domaines essentiels. Par exemple, dans mon État au Brésil, nous avons actuellement au moins 20 cas de dengue confirmés pour chaque cas de Covid-19. Nous estimons que 390 millions de personnes sont infectées par la dengue chaque année dans le monde, parmi lesquelles environ 100 millions développent la maladie, et jusqu’à 25 000 en meurent. Ces chiffres augmentent rapidement en raison du changement climatique et de l’urbanisation. »

« Un autre effet malencontreux de la crise actuelle est la réduction de l’importance de la recherche fondamentale. En effet, nous savons que la recherche appliquée et la recherche clinique ne peuvent progresser sans la recherche fondamentale, mais pour les gouvernements et le grand public il est parfois difficile d’envisager cette dernière comme un domaine où il est essentiel d’investir. Ils veulent des résultats, et rapidement. Par exemple, pour prendre le cas de mon laboratoire, nous étudions la diversité virale chez les moustiques depuis un moment, sans réellement disposer de fonds importants ni générer un grand intérêt. Pourtant, je pense que le suivi de la circulation des virus chez les animaux est un investissement crucial. En effet, des virus comme le nouveau coronavirus, le SRAS, Zika ou Ebola ainsi que de nombreux autres agents ont circulé chez les animaux bien avant les épidémies humaines, ce qui pourrait représenter un système de détection précoce. »

Des politiques fondées sur les recherches

« J’espère que la crise actuelle soulignera l’importance des chercheurs et de la recherche. Je pense toutefois que ce sera plus le cas dans des pays comme l’Allemagne, par exemple, où les sciences occupent déjà une place essentielle. Nous devons en outre être prudents quant à la manière dont les scientifiques sont impliqués dans le processus de prise de décision, ce dernier étant parfois politique et non fondé sur la science elle-même. Bien que chaque scientifique puisse avoir une opinion sur le Covid-19, peu d’entre eux disposent réellement de l’expertise exigée pour participer à l’élaboration des politiques. »

« Il est important de mieux informer le grand public au sujet des virus, sur ce qu’ils sont ainsi que sur les manières de se protéger et de protéger les autres, car les décisions et le comportement du grand public sont un facteur crucial de la circulation des virus. Je pense toutefois que nous devons montrer plus de coordination, car il n’est pas bon que trop de scientifiques s’expriment au sujet du Covid-19. En effet, les décideurs pourraient être tentés de sélectionner les opinions qui s’alignent sur leur programme politique. En outre, des opinions trop nombreuses facilitent la circulation de fausses informations. Nous devrions nous en remettre uniquement aux spécialistes du Covid-19 afin d’éviter que nos opinions n’ajoutent à la confusion. »

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